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Tibet : libre ou occupé?
Jacques Lanctôt
21/03/2008 04h00
http://www.canoe.com/infos/chron ... 0080320-224253.html
Voici une question épineuse à trancher, surtout lorsqu’on est Québécois et qu’on revendique la pleine souveraineté pour son pays qui n’en est pas encore un. Et surtout lorsqu’on constate qu’une bonne partie de l’opinion publique occidentale, alimentée par une information à sens unique, relayée par Radio Free Asia, financée par les États-Unis, condamne unanimement la présence chinoise sur le sol tibétain et qu’on accrédite la thèse répandue par le dalaï-lama d’un génocide culturel pratiqué par le gouvernement chinois.
Une telle unanimité suscite toujours, chez moi, quelques doutes. À quelques mois de l’ouverture des Jeux olympiques de Pékin, comment ne pas voir dans les poussées de violence actuelles au Tibet, la main de George W. Bush, en phase terminale? De plus en plus actifs dans la région, les États-Unis ont installé au cours des dernières années de nombreuses bases militaires dans les républiques de l’ancienne URSS où ils ont favorisé l’arrivée de régimes pro-occidentaux. Dans quel but? Contrer l’influence de la Chine et de la Russie dans la région, étendre leur bouclier antimissile (à des milliers de kilomètres de la frontière étasunienne, faut le faire!) et s’emparer de ces richesses précieuses qui leur font tant défaut, le pétrole et le gaz, entre autres. Qui a dit que la «guerre froide» était terminée?
Un peu d’histoire s’impose
Rappelons brièvement que le Tibet a appartenu à la Chine pendant très longtemps. Ce qu’on appelle «peuple tibétain» était au départ un rassemblement de populations composites, de cultures et de langues parfois différentes. L’alliance de la Chine et du Tibet, vers le VIIe siècle, permit au bouddhisme de faire son entrée officielle au Tibet. Religion ou philosophie, le bouddhisme servira à cimenter les différentes communautés tout en instaurant un régime féodal où 90 % de la population est assujettie aux grandes familles de la noblesse tibétaine, régime tyrannique qui perdurera jusqu’au triomphe de la révolution chinoise, en 1949.
Entre le XVIIe et le XIXe siècle, on assistera à un chassé-croisé continu entre déclaration d’indépendance et réaffirmation de souveraineté, entrecoupée de guerres sanglantes, d’exécutions sommaires, de viols et d’abus sexuels, de mutilations et de tortures des plus sadiques, de vols et de séquestrations. « Une vraie tyrannie des moines qui exerçaient un pouvoir despotique », selon ce qu’avaient constaté plusieurs voyageurs de l’époque. Plusieurs puissances coloniales ont été mêlées à ces bains de sang, dont l’Angleterre qui envahira carrément le Tibet, pour ne pas être en reste.
Après la Deuxième Guerre mondiale, les zones d’influences sont largement modifiées et les États-Unis font leur entrée dans la région. La victoire de l’Armée populaire de Mao Tsé Tong, en 1949, viendra bouleverser l’échiquier régional. En 1951, le Tibet deviendra officiellement une province de la Chine, gouvernée par le dalaï-lama. Dans le but d’endiguer la vague communiste, les États-Unis organisent l’opposition clandestine et forment les premiers guérilleros tibétains. Craignant pour sa vie, le dalaï-lama, alors âgé de 15 ans seulement, s’enfuit en Inde avec une partie de son gouvernement en 1959.
Tiraillé entre une Chine communiste qui se présente comme une alliée naturelle et les États-Unis qui lui promettent monts et merveilles, le dalaï-lama en exil (le 14e) choisira ces derniers. Et il jouera la carte pro-occidentale à fond. Pendant ce temps, la CIA américaine entraînait et armait des commandos, organisait ici et là des soulèvements, tout en payant un salaire au dalaï-lama pour lui assurer un exil doré.
Le Tibet ne sera pas à l’abri des soubresauts que connaîtra la Chine continentale pendant la «révolution culturelle» et le «grand bond en avant», avec son lot de déchirements, de restrictions, de répressions et d’exagérations. Mais il connaîtra, sous la «protection» du grand frère communiste, un extraordinaire développement, un véritable boom économique, à l’instar de la Chine continentale. Le système de servage, l’esclavage et les punitions corporelles furent supprimés. En 50 ans, «la région autonome du Tibet» passera d’une société féodale à une société développée et hautement industrielle, avec toutes les infrastructures et planifications nécessaires au bien-être de sa population : hôpitaux, écoles, consommation, réseaux routiers, dont un train dernier cri qui reliera «le plus haut plateau du monde» au reste du continent, essor touristique, redistribution des terres aux paysans, système de protection sociale, etc.
Ce développement a, bien sûr, sa contrepartie. Les moines tibétains se plaignent à juste titre qu’on assiste à une désertion des monastères et autres lieux de culte. Les religieux tibétains ont perdu l’autorité et les pouvoirs qu’ils exerçaient traditionnellement sur leurs ouailles il n’y a pas si longtemps et ils tiennent à conserver, dans cette société civile, une certaine dimension spirituelle qui attire encore son lot de touristes. Là, comme au Québec, on assiste à une bataille pour la laïcité. Il y a aussi une immigration massive de Chinois, attirés par les énormes besoins en main-d’œuvre. Le Tibet est un immense chantier et le nombre de grues qu’on y trouve est certainement supérieur à celui du Québec tout entier.
Je ne dis pas qu’il n’y a pas eu d’erreurs et de comportements abusifs de la part des communistes chinois, mais de là à conclure à un «génocide culturel», il y a un fossé qu’une certaine presse alimentée, comme je le précisais plus haut, par Radio Free Asia, le pendant de Radio Marti, basée, elle, dans ce Miami mafieux et anticastriste, s’empresse de creuser, dans le but de stimuler les ardeurs des militants purs et durs, les incitant à la violence à quelques mois de l’ouverture des Jeux olympiques à Pékin. Il ne reste plus, par après, qu’à accuser Pékin de réprimer dans la violence une manifestation soi-disant pacifique en faveur des droits de la personne. Et dans cette certaine presse, j’inclus cette soi-disant ONG récemment rabrouée par l’UNESCO, Reporters sans frontières, le plus fidèle allié du gouvernement américain lorsqu’il s’agit de revêtir les oripeaux de la brebis angélique pour dénoncer chez les autres ce qu’on ne respecte même pas chez soi. On appelle ça «parler des deux côtés de la bouche en même temps».
Finalement, voici une déclaration qu’a faite, en 1996, le dalaï-lama et qui ne plaira sûrement pas aux nostalgiques du paradis perdu tibétain:
«De toutes les théories économiques modernes, le système économique marxiste est fondé sur des principes moraux, tandis que le capitalisme n’est fondé que sur le gain et la rentabilité. Le marxisme est basé sur la distribution de la richesse sur une base égale et sur l’utilisation équitable des moyens de production. Il est aussi concerné par le destin des travailleurs — qui sont la majorité — aussi bien que par le destin d’entre ceux qui sont défavorisés et dans le besoin, et le marxisme se soucie des victimes de minorités exploitées. Pour ces raisons, le système m’interpelle et il semble juste... Je me considère moi-même comme demi-marxiste et demi bouddhiste.» (The Dalai Lama in Marianne Dresser (ed.), Beyond Dogma : Dialogues and Discourses (Berkeley, North Atlantic Books, 1996). |
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