Shenzhen est allée trop loin. La ville usine du sud-est de la Chine accueillera cet été les 26e Jeux universitaires et souhaite, pour l'occasion, faire place nette. Ces "universiades", réservées aux étudiants, seront certes bien moins médiatisées que les Jeux olympiques dont hérita Pékin en 2008. Il n'en est pas moins hors de question que les mouvements sociaux qui ont attiré l'attention ces derniers mois sur cette région industrielle perturbent la fête.
Les travailleurs ont en effet protesté contre les faibles salaires dans l'usine du fabricant japonais d'imprimantes Brothers en septembre 2010, et dans celle de Sanyo en novembre ; les conducteurs d'autobus de la ville ont suivi en janvier. Ces grèves et la multiplication des suicides dans les dortoirs du sous-traitant en électronique Foxconn, au nord de Shenzhen, amènent la Chine à s'interroger sur ce qu'elle a à offrir à de jeunes travailleurs migrants sous-payés et vivant coupés de leurs proches.
La police municipale a donc lancé le 10 avril une opération de cent jours au cours de laquelle elle promet d'expulser 80 000 personnes menaçant à ses yeux la stabilité. Parmi elles, les anciens condamnés, les drogués et les migrants sans emploi.
LES DROITS DES "MINGONG"
Le bureau local de la construction et du logement a, de son côté, pris l'initiative de publier une circulaire interdisant aux ouvriers, sous peine de voir "engagée leur responsabilité pénale", d'organiser des manifestations et autres pétitions, cet ultime recours des victimes d'injustices implorant le soutien des autorités. Cette réglementation spéciale devait se prolonger du 1er mai au 30 septembre alors que les olympiades ne dureront que du 12 au 23 août 2011.
De telles mesures ont suscité l'indignation de la presse chinoise et des organisations de défense des droits des mingong, les ruraux qui quittent la campagne pour rejoindre les usines. "Donnez aux migrants qui n'ont pas été payés de l'aide, pas des peines de prison" s'est insurgé le très officielQuotidien du peuple. D'autres ont demandé sur quel fondement l'administration locale chargée de l'habitat se permet de modifier le droit pénal.
Ces foudres ont contraint la municipalité à retirer l'interdiction des grèves et pétitions mais pas la campagne de nettoyage de cent jours. Le Bureau de la construction a dit avoir cherché à protéger tout à la fois les droits des travailleurs et la stabilité sociale, et il a reconnu une "erreur de formulation".
Shenzhen, éloignée du pouvoir politique central et historiquement en première ligne des réformes, est connue pour ses penchants progressistes. Elle réfléchit à l'instauration de procédures de négociations collectives dans les usines pour gérer les conflits du travail. Leur adoption semble toutefois suspendue jusqu'à la fin des Jeux universitaires, constate l'ONG China LabourBulletin.
Harold Thibault (Shanghaï, correspondance)Article paru dans l'édition du 15.05.11
http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2011/05/14/petits-jeux-grand-nettoyage-a-shenzhen_1522045_3216.html