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http://www.la-croix.com/article/index.jsp?docId=2436357
Les médias gardent le silence sur la catastrophe pétrolière survenue il y a un mois dans ce port chinois et l’opinion publique n’a aucune idée de l’ampleur réelle de la tragédie
Dans son écrin de collines verdoyantes, la zone pétrolière de Xingang, près de Dalian, dans le nord de la Chine, aligne ses dizaines d’immenses cuves de stockage et ses titanesques raffineries. Le réservoir le plus proche des deux oléoducs qui ont explosé le 16 juillet montre sa façade calcinée. Des camions emportent de longs tronçons de tuyauterie brûlés et déformés. Toute la zone est en effervescence : ici, des groupes de peintres donnent un coup de neuf au mur d’enceinte et aux bâtiments administratifs roussis ; là, des colonnes de camions chargés de terre entrent dans le périmètre sécurisé.
« Ils vont recouvrir la zone touchée par l’incendie : tout doit être impeccable, car, demain, le patron de l’entreprise vient visiter », explique un ouvrier. Pour la filiale de la société PetroChina qui exploite le site, et pour la réputation de Dalian , la priorité absolue est de sauver les apparences.
Vers midi, un étrange cortège apparaît : des silhouettes noires semblables à des mineurs de fond, le visage couvert d’huile marron. Chargés du nettoyage au cœur de la zone du sinistre, ces hommes sont en contact direct avec le brut, ne portant pour toute protection qu’une vieille paire de gants. Il fait 30 °C à l’extérieur, sans doute beaucoup plus dans les tuyaux dans lesquels ils doivent ramper…
Une région très atteinte par la marée noire
C’est la pause, la seule d’une journée de treize heures. « Je gagne seulement 140 yuans (16 €) par jour », maugrée un homme aux cheveux blancs englués. « C’est un bon salaire ! », corrige aussitôt son chef d’équipe en lui disant de ne pas parler aux étrangers.
Ici, il n’est pas de bon ton de se plaindre. Au contraire : travailler sur le gigantesque chantier de dépollution qu’est devenue la région touchée par la marée noire est une noble tâche dont la presse officielle célèbre les héros : militaires, volontaires, ou encore ce pompier qui s’est noyé dans une vague de pétrole en tentant de colmater une fuite.
Ce qui aurait pu être perçu comme une honte pour Dalian est devenu un moyen de faire une démonstration d’efficacité collective. À plusieurs reprises, les trompettes médiatiques ont sonné les « victoires » obtenues sur la marée noire, signalant par exemple, et contre toute évidence, dans le Dalian Daily du 26 juillet, que « le nettoyage de la marée noire est terminé et que tout le pétrole répandu est enlevé ». Officiellement l’affaire est close et des ordres ont été donnés aux directeurs des médias de ne plus en parler.
«Le pétrole ne fait pas de mal »
Mais quid du pétrole toujours dans la mer ? Dans une petite crique, une dizaine de bateaux de pêche visqueux déchargent leur cargaison de pétrole. Les marins sont persuadés de l’innocuité du brut, dont ils sont recouverts. « Le pétrole ne fait pas mal. Je pense donc qu’il n’y a aucun risque pour la santé », estime l’un d’eux.
Quant à la responsabilité de l’accident, ils ne s’étaient pas posé la question : « C’était une explosion naturelle, n’est-ce pas ? » Ces hommes, qui ne pêchent jamais à cette saison, considèrent presque cette marée noire comme une manne : même si aucun d’eux ne sait quand il sera payé, chacun devrait gagner l’équivalent d’un bon mois de travail en mer.
La zone de baignade de Boshiwan, à 30 km de Dalian, considérée comme une station balnéaire réputée pour son climat favorable, ses montagnes et la mer, est protégée par une double barrière flottante qui a de la peine à contenir les fines pellicules d’hydrocarbures que la marée rejette encore sur le rivage. Planté dans les galets, un unique petit panneau déconseille de se baigner. Les policiers présents ne dissuadent pourtant pas les rares nageurs. « Tout est rentré dans l’ordre, il n’y a plus de problèmes. Mais il est important de laisser l’écriteau... »
Une zone supervisée
Une telle ambiguïté est à l’image de l’ensemble de la communication déployée autour de l’événement. Même certains scientifiques ont un discours équivoque. Ainsi, peu désireux de s’écarter de la ligne des autorités, le professeur Xie, de l’Institut de physique et de chimie de Dalian , en est réduit à des propos pour le moins surprenants : « Il n’y a aucun danger à manipuler le pétrole sans protection, puisque celui-ci n’est que peu cancérigène. »
Selon le quotidien China South Morning Post, basé à Hong Kong, les médias chinois, qui n’ont pas été autorisés à enquêter sur place, ont dû se contenter des informations officielles. Seule l’organisation non gouvernementale Greenpeace a réussi à faire entendre sa voix. Ses communiqués ont été repris par la plupart des agences de presse occidentales.
À plusieurs reprises, elle a accusé le gouvernement d’avoir menti sur la gravité de la marée noire, affirmant par exemple que 60 000 à 90 000 tonnes de brut s’étaient répandues en mer Jaune, soit 60 fois plus que les 1 500 tonnes annoncées par les autorités. Sur les plages, les activistes ont participé à de spectaculaires opérations de communication, enjoignant aux vacanciers de ne pas se baigner et de porter des protections.
Pour autant, malgré cette source d’information alternative, et en l’absence d’enquête indépendante et de transparence, nul ne semble avoir de vision précise de la situation. L’impact réel de la marée noire sur l’économie et l’environnement de la région de Dalian pourrait même être impossible à évaluer. |
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